Faire chambre à part, le « début de la fin » du couple ?

© www.alamy.com / Alamy Stock Photo / Abaca

Comme tous les soirs, depuis trois ans, Véronique, Rochelaise de 52 ans, lit quelques pages d'un roman sur le canapé du salon, dépose un baiser sur l'épaule de son mari et gagne sa chambre, au bout du couloir.

Après 25  ans de mariage et presque autant d'années à partager le même lit, le couple fait chambre à part.

L'idée « couvait depuis longtemps », confie la quinquagénaire. C'est le départ du domicile de leur fille, dont elle a pu investir la chambre, qui l'a  décidée .

« Je crois que nous ne sommes pas faits pour dormir ensemble ! Il dort peu, est agité et j'ai besoin de 8 heures pour être bien? 

Aussi loin que je me souvienne, nous n'avons jamais pu nous accorder sur ce point : "Il est du soir, moi du matin"..»

Si 84 % des couples français préfèrent dormir à deux, ils sont, aujourd'hui, 10 % à déclarer faire chambre à part et 6 % à y aspirer.. dévoilait l'Ifop pour "Femme actuelle" « Les Français et leur lit » en 2021.

Une configuration qui séduit jusqu'à 15 % des couples au Royaume-Uni, deux fois plus qu'il y a 10 ans, relayait, la même année, le quotidien The Telegraph. Les articles de presse allant jusqu'à évoquer un « phénomène », usant de l'expression, peu reluisante, de « sleep divorce » (divorce du sommeil).

De fait, « certains de ces couples traversent une période d'éloignement, pérenne ou non, avec le besoin de retrouver un espace personnel, où se retirer en cas de besoin », commente Cécilia Commo, psychanalyste, sexologue, thérapeute de couple et autrice de "Le couple parfait n'existe pas" Flammarion 2022.

Mais la majorité d'entre eux y recourt, avant tout, « pour pouvoir dormir »

En effet, 77 % des Français faisant chambre à part considèrent cette solution comme « contre la gêne (ronflements, bougeotte, forte respiration) », indique encore l'Ifop.

De plus en plus de jeunes couples feraient chambre à part

Pour pratique qu'il soit, ce choix n'en est pas moins symptomatique.

« Le couple d'aujourd'hui relève d'une forme de contradiction », explique Jean-Claude Kaufmann, sociologue du couple et auteur d' "Un lit pour deux ?"

"La tendre guerre" JC Lattès, 2015 : « On aspire à être bien avec l'autre, mais on porte aussi une attention accrue à ce qu'il ne nous écrase pas et n'entrave pas notre épanouissement et notre bien-être personnel. »

De fait, 48 % des Français estiment aujourd'hui que le sommeil est la « priorité » de leur bien-être

Dans cette logique, « les problèmes nocturnes que peut connaître son partenaire, particulièrement dans un lieu dévolu au repos et à la décompression, peuvent rapidement se révéler comme des désagréments, voire une gêne ».

Aussi, bien que la chambre à part soit plutôt l'apanage de couples matures ?

Lesquels ont généralement plus de chances de posséder l'espace pour, ou d'investir la chambre d'un enfant laissée vacante , cette pratique gagne doucement les jeunes couples, souligne-t-il.

Faire chambre à part serait alors un symbole de l'« individualisation »

« Le quotidien des couples s'articule, de plus en plus, autour de séquences alternatives "solo/duo" : les écrans sont personnalisés, nombre de repas pris seul.. affirme le sociologue.

Nos enfants nous ont demandé si la prochaine étape n'était pas le divorce?

Luna*, professeure de yoga de 43 an dort, elle, séparée de son compagnon depuis 10 ans. 

Un « glissement » qui relève alors de la « nécessité » plus que du « choix »

« Il ronfle depuis le début de notre relation et, très tôt, j'ai terminé mes nuits sur le canapé »

La naissance de leur enfant marque le point de bascule.

« J'avais d'autant plus besoin de sommeil, alors j'ai investi le bureau, avant d'en faire ma chambre ». Puis la situation s'est pérennisée.

Un tabou : « Nous n'en parlons pas ouvertement. Et parce que ce n'est pas pleinement assumé, n'en parlons pas même entre nous? » confie-t-elle.

« Il fait peu de doute que la chambre à part est sous-déclarée », commente à ce titre Jean-Claude Kaufmann. Il faut dire que, « la norme du lit matrimonial, symbole du couple, est si forte que toute autre configuration évoque aussitôt dans notre imaginaire, un problème relationnel », souligne-t-il.

Pour beaucoup, dormir séparément marque le début de la fin..

Nos enfants nous ont demandé si la prochaine étape n'était pas le divorce ?  raconte Véronique dans un rire.

47 % des Français estiment, en effet, qu'un couple qui dort séparément, est le signe qu'il « va mal », éclairait l'Ifop dans son enquête.

Ainsi, même gênés dans leur sommeil, « nombre de couples s'y refusent encore catégoriquement », souligne Cécilia Commo.

Gare aux excès d'enthousiasme..

Le rejet comptant souvent avec une forme de curiosité, les réseaux sociaux abondent en conversations sur le sujet.

Notamment sur TikTok, où le hashtag #SleepDivorce cumule près de 12 millions de vues et livre une foule de conseils pour « adopter la tendance » sans « frustration » pour sa vie conjugale.

De fait, si la chambre à part ne signe pas la fin de l'intimité, elle est « loin d'être sans effet » sur cette dernière..

« On aimerait croire à des situations HAUTEMENT ROMANTIQUES, où l'un frappe à la porte de l'autre.. mais DORMIR SEPAREMENT nous a éloignés, des moments où ON SE RETROUVE, il y en a moins..» abonde Luna.

Aussi convient-il de se méfier des "déclarations d'enthousiasme" dont la presse et les enquêtes pullulent ..

la chambre à part « sauverait » le couple ; elle « raviverait » la flamme.. (?)

 Jean-Claude Kaufmann met en garde : « Sur ce sujet, nombre de témoignages, (comme pour se protéger d'un jugement négatif) sont excessifs. »

Sous réserve qu'on tienne à préserver l'intimité de son couple, « FAIRE CHAMBE A PART, imposent "IMAGINATION", prévient ainsi Cécilia Commo.

Il faut aller l'un vers l'autre.. Autrement, le lien se distend ! 

Le Point - Article de Par Alice Pairo-Vasseur